lundi 20 décembre 2010

(parenthèse glacée) : trouver chaussure à son pied

Ça y est, c'est l'hiver. Nos petons se teintent en bleu, et nos fesses aussi, à force de glissades incontrôlées. Il est donc temps de réagir et de remplacer Docs et escarpins par des chaussures plus adaptées. Mais que mettre?

Petit florilège en direct from teh Interweb :





Les chaussures à clous (ma première piste) se retrouvent depuis les temps anciens et partout dans le monde. Celles-ci, utilisées par les fakirs hindous en pélerinage ont malheureusement les clous du mauvais côté. De plus, elles craignent un peu côté chaleur. Definitely NOT good.
 


 
photo by Erwin Olaf
Je reste donc sur mon idée et trouve cette paire de sandales de Geisha SM. Elles ont les clous dans le bon sens cette fois. Et si on regarde bien, il s'agit même de vis, ce qui permet une adhérence encore meilleure. ONE POINT. Mais bon, question look, c'est quand même un peu trop roots.









 
Chain Shoes by Tove Jansson and Per Emanuelsson
Autre piste, faire comme avec les pneus des voitures : mettre des chaines. Cela donne ça :








by Lisa Carney (http://lisacarneydesign.com/about)
Autre possibilité, la version glisse. Quitte à jouer les pinguins sur la banquise, autant le faire avec élégance. Et vous pourrez en prime les réutiliser pour vos vacances aux Caraïbes.














vendredi 22 octobre 2010

Pimp your Punk! (level 1)

Née avec les années punk, j'ai principalement porté la crête étant gamine. Décor : une salle de bain, un canard en plastique (masqué par mes soins au marqueur à alcool), des spikes façonnées au Dop' Pomme verte, et j'étais parée pour une suite de batailles mémorables contre mon gant de toilette, carnivore de surcroit. Bref...

Tout ça pour vous dire que je comptais vous parler punk.
Mais ne vous attendez pas à une rétrospective "Inrock' style". Ne vous attendez pas non plus à ce que je vous parle musique, d'ailleurs. Car Punk is Everywhere (voilà pour le fond sonore)... et c'est donc dans le monde littéraire et ses dérivés que je vais fouiner pour vous à la recherche du petit punk perdu (pauvre petit punk qui a perdu sa maman) - je divague, je divague-. Bon, titre :

Cyberwhat?

Parce que les punks, ça crie, c'est sale, ça a des pantalons tout troués, du métal plein la figure et des épingles à nourrice qui piquent. Chacun sait ça.
Eh bien non ma bonne dame! Pas forcément.

Je m'explique.

Un jour, une série d'écrivains de science-fiction pas forcément juvéniles ont décidé de faire évoluer leurs anti-héros marginaux dans un monde de super-technologie dominé par un système aux relents totalitaires (waw, t'as vu la phrase?, c'est presqu'aussi bien que du Eco). Et vu que le style littéraire changeait plutôt des space operas de l'époque (ah oui, on est au début des années 80), les critiques (surtout un; il s'appelle Dozois, même) ont regroupé ça sous la charmante appellation de cyberpunk. Pourquoi? Parce que c'était plus crade que Star Treck mais aussi technologique que StarWars. En gros. Puis surtout parce que bon, quand même "cyberpunk" ça le fait!

Future is now!

Ces histoires se déroulent donc le plus souvent au fin fond d'un paysage urbain incrusté de technologie de pointe et baigné dans une sorte de marécage post-nano-électronique recyclé (rejoignant en cela le "do-it-yourself" punk , d'ailleurs, en passant).
On est donc assez loin des extraterrestres vengeurs ou des invasions spatiales. Ici, le futur n'est plus une projection. On y entre de plein front, sans pincette ni explications. Ça pue donc le néologisme à toutes les lignes et il faudra vous y faire.
Comment, vous ne savez pas ce qu'est le "loglo" (alors cliquez ici), ni un "exo en polycarbone" (ici) ? Eh bien dans cet univers, tout le monde sait ça, donc on ne va pas prendre le temps de vous donner le mode d'emploi. Normal.
Donc cher lecteur de cyberpunk, assimile-toi vite ou va lire du Oui Oui! En gros.
Le héros vit bien comme ça, on ne va pas te privilégier parce que tu as payé 6euros pour lire ses aventures. Quand-même.

Résultat : un sentiment d'étrangeté et d'immersion à l'arrache. Un peu comme les premiers instants où l'on se retrouve tout seul dans une foule au milieu d'une ville à l'autre bout de la planète, mais en plus hard. Alors on aime ou on n'aime pas. Moi, j'aime ça me plait (je précise maintenant)!

Et en guise d'envoi, comme le dit Bruce Sterling :
“Anything that can be done to a rat can be done to a human being. And we can do most anything to rats. This is a hard thing to think about, but it’s the truth. It won’t go away because we cover our eyes. That is cyberpunk.”

(dans le prochain post- dont la date de parution est encore largement indéterminée- nous verrons que les auteurs et lecteurs ont tellement kiffé le genre qu'ils ont décidé de le décliner à toutes les sauces - même wazabi? Ca, faut que je vérifie...)

jeudi 30 septembre 2010

Re : Automne en emporte de vent...


J'aime les listes. Point.
Ça me fascine, me rassure, m'emmène, m'emporte, m'hypnotise, me ... ( arg, forcément)

Mademoiselle Catherine aime aussi les listes (visiblement). Et notamment les listes d'automne (et celles d'été, et d'hiver, et.de livres, et de butin de soldes, et de joueurs de foot et... arg encore!)

Donc, consternée de voir mon blog si soigneusement délaissé depuis la mi-aout, je me suis remise au clavier afin de répondre à Mademoiselle Catherine qui se demande ce que nous on a prévu pour nos prochaines semaines automnales.

Alors, dans le désordre et de manière non-exhaustive :
- un duo danseuse contemporaine/danseur de hip-hop à créer
- un spectacle à danser la nuit sous les ponts en octobre
- London, me voici (Bruxelles aussi d'ailleurs, promis)
- une pile de livres commencés à terminer (dont "Les Bienveillantes" - et rien que pour celui-là, il y a du boulot! Catherine, tu me comprends je pense)
- une formation en Production Théâtrale prometteuse d'adrénaline
- des brols en masse à descendre dans ma cave
- des concerts à savourer
- des brelans de Dames à partager
- un Valet de cœur à aimer
- entretenir mon anglais (non, je n'envoie pas de pension alimentaire à Fink, ni à ... bon vous avez compris)
- améliorer ma technique à l'épée chinoise
- préparer du thé dans une jolie théière
- s'envoler dans des discussions sans fin sur les effets du paradigme scientifique
- se promener au bord de l'eau dans le vent
- boire un petit verre de cognac (ou deux, de préférence devant un feu de bois)
- faire du popcorn (done)

hmm c'est déjà pas mal!

Et pour poursuivre cette aventure en [mode tiret demi-cadratin], je vous propose de vous perdre dans les méandres savoureux d'un site entièrement dédié aux listes : ECHOLALISTE.

NB : Vous pouvez également consulter la "liste des codes postaux en Inde", si vous voulez.

dimanche 15 août 2010

[parenthèse culinaire]: vous avez encore un fer à repasser?

Cela fait des années que vous avez adopté la mode chemise froissée et relégué votre fer à repasser au fond de votre penderie? Qu'à cela ne tienne! Cet ustensile d'un autre âge a bien des ressources inexploitées et peut (enfin) vous être réellement utile.
En effet. Qui n'a pas trouvé Johnny Depp "so cute" en tablier à fleur dans "Benny and Joon" (pas vous? ça ne fait rien, c'est juste pour introduire le sujet et faire un peu genre j'ai vu des films), mais avez-vous déjà tenté, comme lui, le croque-monsieur au fer à repasser? hein?

Eh bien moi non plus, mais d'autres l'ont fait pour nous! Et, d'après l'expérience de certains internautes, la recette est à modifier légèrement pour s'assurer un doré homogène et une croustillance agréable. Voici donc la recette en images rien que pour vous: ici

Mais ça va plus loin, vous pouvez encore maximiser votre gain de temps. Enfin, du moins, si vous possédez un lave-vaisselle (ce qui n'est pas mon cas, je fais la vaisselle avec mes petites mains). En effet, le mode de cuisson révolutionnaire que je vais vous présenter s'occupe à la fois de votre vaisselle sale et de la cuisson de votre repas du soir. C'est pas beau ça? C'est encore mieux que le Cuit Vapeur Gourmet de Télé Achat!

Mais quel est donc le secret de ce mode de cuisson révolutionnaire?
Le voilà :


Ajoutons seulement que d'autres gentils cuisinier, à l'âme plus écologique, cuisent leur saumon dans un lave-vaisselle rempli, avec savon et tout le bazar! (si c'est fermé bien hermétiquement, ça marche, sinon vous vous lavez les dents en même temps, ce qui commence à faire beaucoup de choses à la fois, vous en conviendrez).

Bon appétit

vendredi 30 juillet 2010

le français sauce wasabi (part 3) : dance with japaneese

Tant que je suis dans une passe "Bienvenue au pays du Soleil Levant", et étant donné mon activité de danseuse à temps partiel (cf l'intermède précédent), je ne pouvais pas passer à côté du phénomène Butô, ou butoh (comme vous voulez).
Parce que si si (non! on se tait svp...) j'ai même réussi à trouver un lien avec ma thématique initiale : la langue française. Vous verrez ça en temps voulu. Bon ok, je vous l'accorde, c'est un peu tiré par les cheveux. Mais les gars de Sankai Juku n'en ont pas et donc ne m'en voudront pas. Donc j'assume le côté prétexte et entre dans le vif.


Au départ...

Donc au départ, les japonais avaient le kabuki (suivez un peu les gars!).
Mais le kabuki c'est quand même très très ancien et du coup assez figé au niveau thématique. Et entre temps, il y a eu Hiroshima. Et Hiroshima, c'était pas de la roupie de sansonnet, comme tout le monde le sait.
(là, j'aurais pu par contre vous faire une petite parenthèse sur l'origine de l'expression "roupie de sansonnet", qui n'a de rapport ni avec le fric d'un indien ou d'un indonésien, ni avec un volatile quelconque, comme tout le monde ne le sait pas, mais c'est très bien expliqué ici).

Hiroshima donc. Les codes du théâtre et de la danse traditionnels ne suffisaient pas à rendre compte de ce type d'horreur et de ses conséquences. Et il y avait un besoin pressant d'une nouvelle identité artistique et culturelle. Besoin de se positionner par rapport au passé, mais aussi par rapport au présent et à la forte occidentalisation du Japon. Le terreau était donc cuit.

Alors, tadaaaaaam, il y a eu un gars, dans les années 50, Tatsumi Hijikata il s'appelait. Il aurait bien pu être le futur père d'un adolescent chanteur de Visual Kei parce que sa bibliothèque était pleine de livres d'auteurs français. Et pas des moindres : Jean Genet, le Marquis de Sade, Antonin Artaud, Lautréamont... pas de la petite bière quoi (voilà voilà voilà...le lien thématique, c'est fait. Quant à l'origine de l'expression sus-évoquée, tant qu'on y est, c'est). En plus, il avait fait des stages avec des danseurs occidentaux et s'en était retrouvé tout retourné.
Alors, un beau matin devant son thé fumant, il a décidé de dénoncer la décadence des valeurs ancestrales et la supercherie des modernités (pour les références, zavez qu'à googler). Et vu que dans ce domaine il y avait de la matière, et comme son truc c'était la danse, et bien il a commencé par là pour foutre un peu le bordel. Normal.

Pour tout vous dire, au départ, le terme butoh était utilisé pour parler des danses importées de l'occident comme le fox-trot, le ballet ou encore le tango. Du coup, Hijikata, qui voulait indiquer que sa danse n'avait rien à voir avec ce qui se faisait à l'époque au Japon, a utilisé le terme "butoh" pour ses trucs à lui. Mais en même temps, ce qu'il faisait était qd même vraiment plus dark que le fox-trot. Donc il a rajouté "ankoku" qui signifie "extrêmement sombre". Comme ça on était prévenu et il n'y avait pas de raison d'appeler le service après-vente.

Et il avait bien fait, parce que les thèmes qu'ils proposaient étaient quand même tout ce qui était inmontrable en public à l'époque : sexe, mort, maladie, ... Mais bon, vu que l'impensable s'était réalisé, il fallait marquer un grand coup et montrer aux gens qu'ils ne vivaient pas dans un monde peuplé de petits lutins. C'est comme ça qu'est né Kinjiki, en 1959 : performance sans musique (excepté un air d'accordéon au début et à la fin), sans décor, et traitant des thèmes de l'homosexualité et de la pédophilie, avec un poulet étouffé par les cuisses d'un des danseurs et des tas d'autres trucs du même acabit. Considéré comme iconoclaste, il fut banni de la All Japan Modern Dance Association et considéré comme un "danseur dangereux" (sic).

Mais il n'en resta pas là. Et avec un pote à lui, Katzuo Ono, ils allaient construire les bases de ce qui allait devenir un nouveau langage chorégraphique au Japon, and all over the world.
(Katzuo Ono, c'est le gars qui se fend la gueule sur la photo ici à côté)
.



Génération buto

Alors à quoi ça ressemble au final, cette "danse des ténèbres"?
Tatsumi Hijikata s’inspira des gestes quotidiens des paysans dans les rizières, des femmes âgées ou encore des prostituées, mais aussi d’une de ses sœurs handicapée pour façonner le corps du Butô : pieds en-dedans, bassin près du sol, visages grimaçants, yeux révulsés, corps recroquevillés. (réf.)
Vous imaginez des gars (la plupart du temps) et des nanas (de plus en plus quand même) tout peints en blancs, les cheveux rasés (enfin pas pour les filles, parce que aaaah les cheveux des filles... enfin demandez à Toto, il vous expliquera mieux que moi), et avec presque pas de costume. C'est pas tout le temps comme ça, mais souvent quand même... c'est ce qu'on appelle une tendance. Leurs performances consiste à gigoter comme des épileptiques fatigués en faisant grimacer tout leur corps, jusqu'aux doigts de pieds. On dirait en quelque sorte de grands bébés qu'on aurait plongés vivant dans des bocaux de formol, puis filmés dans leur lente agonie par asphyxie avec une caméra 120 images/seconde (arrêtez de ricaner svp, ça va attirer l'attention des voisins). Ou pour les cinéphiles courageux, c'est du Enter the Void, avec les couleurs qui flashent en moins (là c'est surtout une private joke).
(parenthèse) Bon, après ça, on va encore me dire que je descends tous les sujets que j'évoque. Ce qui est faux! Ceux qui me connaissent savent que je ne vanne que les gens que j'aime. Et donc si je prends la peine de traiter un sujet, c'est qu'il me tient à cœur au minimum, voir me fascine au plus haut point (fin de la parenthèse)
Donc, le butoh, ça n'est pas fait pour vous changer les idées au milieu d'une semaine cafardeuse, pour cela, y a Dr Who par exemple. Ca fait grincer les dents, c'est ironique voire caustique, dérangeant, rugueux, monstrueux ou grotesque. Un peu comme si on avait taxidermé les oiseaux du lac des cygnes. If you know what I mean.

Petite tournée des grands ducs :

Tout d'abord, Carlotta Ikeda. C'est un peu la grande sœur du genre. Une de ses particularité est d'avoir créé une compagnie composée entièrement de femmes (ce qui n'est pas courant dans le butô, contrairement à la plupart des styles en danse) : Ariadone. Dans la vidéo qui suit, elle est encore dans le "pure style".



Par la suite, elle prendra des libertés et ajoutera légèreté et humour à ses compositions, avec une dimension visuelle plus ludique. Plus que la critique de la danse traditionnelle orientale et occidentale, c'est leur essence qu'elle va tenter d'atteindre en les interrogeant.
« elle est capable de se métamorphoser en une figurine de cire, en marbre, en terre, en insecte, démon, sorcière, chien, bébé, cadavre. Son sourire est le sourire d'un fantôme, d'une vieille femme, d'une poupée, d'une pierre, d'une jeune fille, d'un vent ; la solitude d'une âme lorsque toutes les créatures se sont tues devant le mystère de l'existence, le tremblement du néant de celui pour qui le sourire est la seule résistance possible » (Hijikata - en fait là il ne parlait pas de Carlotta, mais ça s'applique bien à elle aussi, alors...)
Autre Compagnie super connue, Sankai Juku. Comparé au côté dépouillé et brut des "puristes", leur scénographie et le travail sur la lumière sont particulièrement travaillés, ce qui donne un côté plus fantastique à leurs spectacles. Toujours superbes, leurs chorégraphies sont de la pure poésie en mouvement :



Ils ont vraiment contribué à la propagation du butoh, en le rendant moins abrupt et par là plus digeste pour un public non-averti. De nombreuses créations se sont d'ailleurs calquées sur leur esthétique.

Par exemple, 0.618, la première Cie de butoh mexicaine (extrait de Huesos Rotos ici).


Mais bon...

Alors c'est vrai que parfois, mes bornes ont des limites. Et je me demande si ce que j'ai devant les yeux ne tient pas avant tout de la simple reproduction de procédé pour le plaisir de vouloir choquer. Et le fait est que ça ne choque même plus. C'est juste gonflant.
Le butoh n'est pas une danse codifiée comme le ballet classique ou les danses de salon. Justement.

Parce que bon, ce qu'on oublie, c'est que dans les années 20, Mary Wigmann faisait déjà ça finalement :



et là je laisse la conclusion à Marc Maurice :
Pour moi la danse est un art de vivre. Sans danse, je ne vis pas. Sans vie, je ne danse pas. Je me suis très vite rendu compte que la danse contemporaine avait de gros problèmes. Il a fallu faire un coup de balai. Je vous rappelle que ça fait 600 ans que l'on danse en rythme sur des mélodies. Alors j'ai dit zut! (Marc Maurice Bejard, à propos de son spectacle Arythmie)

vendredi 18 juin 2010

Le français sauce wasabi (part 2) : J-rock and Visual Kei

Donc, les japonais sont des experts en hybridation improbables, et ça ne s'arrête pas aux devantures des magasins et au choix des ingrédients pour leur ramen de midi. Parce que, l'air de rien, les nippons font également de la musique à leurs heures perdues. Et des heures perdues, ils n'en ont pas beaucoup, alors il s'agit de les remplir avec panache. Et ils font fort, encore une fois.

Kabuki rock




Au commencement, les japonais avaient le kabuki. Mais ça ne leur a pas suffit.

Alors, petite parenthèse pour ceux qui n'ont pas envie de lire tout l'article wiki. Le kabuki est
une forme traditionnelle de théâtre japonais qui accorde une place très importante aux costumes, maquillages ainsi qu'à un jeu scénique à la fois spectaculaire et extrêmement codifié. Les acteurs sont presqu'exclusivement masculins même pour les rôles féminins, interprétés avec une androgynie souvent déconcertante. Les représentations peuvent durer une journée. Ce qui pourrait nous sembler un peu long
(à côté de ça "Enter the Void" de Gaspar Noé, c'est de la roupie de sansonnet). Mais pour eux, ça va . Voilà. En gros.



Donc le kabuki, c'est bien, mais c'est pour les vieux. Alors dans les années 80, une série de petits délinquants juvéniles qui venaient d'user leurs oreilles sur des tubes de Kiss ont décidé de faire plein de bruit en en foutant plein les mirettes des spectateurs. Du kabouki pour les djeuns en quelque sorte. Parce que se déguiser, c'est gai même quand on n'a plus 8 ans. Et que se la péter à donf devant plein de monde, ça défoule. Et se défouler, ils en ont bien besoin.



Ça a donné ça.







Sur le coup, ils ne se sont pas foulé pour le nom du groupe. Mais ils avaient déjà passé tellement de temps à encoller leurs crêtes qu'on pouvait bien les excuser. Dix ans plus tard, alors qu'ils s'appellent désormais les "X Japan", un journaliste crée un nouveau sous-genre au J-rock à partir de leur slogan "Psychedelic violence crime of visual shock" : ainsi est né le Visual Kei.



Et en tant que produit jap', le Visual Kei ne déroge pas à la règle : y a du mélange improbable sous roche. Tout en restant autour de la sphère rock, le Visual Kei se ballade ostensiblement entre glam, pop, métal, punk, hardcore voire hip hop. Leur point commun est l'accent porté sur l'identité visuelle du groupe, poussée à l'extrême. Fringues, maquillages et jeu de scène déploient des trésors d'extravagance et partent explorer les univers les plus divers. En veux-tu plein les yeux? En voilà. Et même pas peur : la peur c'est pour les faibles.



Ok, c'est bien beau, mais et le français dans tout ça? Il arrive, il arrive.



En effet, on ne sait pas trop pourquoi, des tas de groupes japonais ont décrété que le français donnait un air savoureux à leur musique. Peut-être à cause du pain.









Ils se sont donc mis à utiliser des termes français dans tous les sens. Enfin, parfois ce n'est même pas la peine de les chercher dans un dictionnaire (même un québécois), mais on n'est pas à ça prêt. Ça y ressemble et c'est ça qui compte. Parfois aussi les mots existent bel et bien, mais leur association ne veutpas dire grand chose. Mais là encore, on s'en fout, c'est juste trop kawai!



quelques exemples : Malice Mizer, Penicillin, Moi dix mois, Due le Quartz, Poitrine, Noir Fleurir, La'Mule, Rentrer en soi, DéspairsRay...



Eh oui!



*Paris l'Amuur l'amuur Champs Zélysées* trop trop bien :)



Donc, récapitulons : apprendre une langue avec les noms foireux de grands magasins et les devantures de coiffeurs, c'est fait (cf post précédent pour ceux et celles qui n'auraient pas suivi). Repérer les mots repris d'autres langues qu'on connait déjà, aussi.
Et bien nous passons au chapitre suivant : celui où ils décident que Louis XIV est leur ami.



Voilà donc Versailles.







Faut quand même avouer : ces gens ont le sens du grandiose. Et on en viendrait presque à regretter nos cours d'histoire à ce train là.



Autre groupe, autre ambiance : Psycho la Cemu. Le nom ne veut rien dire, mais, précisent-ils dans une interview, les sons faisaient très français. Ce qui suffit, comme je l'ai déjà dit. Par contre, leur rapport à la France s'arrête là, et visuellement, on est dans un tout autre registre. Ils font partie d'un sous-sous-genre appelé le Cosplay Kei (contraction de "costume playing"). Leur univers est teinté de super héros pops et flamboyants et les fans reprennent leurs chorégraphies en chœur lors de leurs concerts.

Voyez plutôt.









Presqu'aussi coloré, tout autant extrême, mais radicalement différent : Dir en Grey.

Figure de l'Eroguro ("Erotique grotesque") aux côtés de groupes comme Cali=Gari (oui, ils font très fort pour leurs noms de groupes), Dir en Grey est un groupe réputé pour son éclectisme musical et ses compositions de plus en plus trashes et violentes (cf. leur titre "Obscure"). Ils mettent de plus en plus en scène des scènes SM avec des nanas enchainées dans leurs combinaisons de vinyle, des monstres humanoides (oui, les clowns sont des montres aussi) baignant dans des bains de sang, sperme et autres liquides peu identifiables, tout ça pour la plus grand joie de leur public.



Voici donc "raison detre" (sic) :







Pour info, l'eroguro est un genre dépassant de loin la musique pour s'étendre à la littérature, au cinéma (cf L'Empereur Tomato Ketchup de Shuji Terayama qui a inspiré le morceau éponyme des Bérus) et au manga.



Et juste pour le plaisir, quelques petites perles Visual Kei (mais qui n'ont pas forcément de lien avec le français):

- Sendai Kamotsu : 仙台貨物-絶交門PV(full ver.) un mélange de Plopsaland hollandais avec des références évidentes au kabuki sur fond de lynchage de ninjas.

- SuG -p!nk masquerade : un gentil vampire kibrille très mais très très fort en jouant de la dance.

- Aicle. Que sera sera : en plein mythe de l'androgyne Oshare Kei (oui, encore un autre sous-sous-gente).

- Maximum the Hormone : hardcore jap'. J'ai un petit faible pour ces grands malades... même si on quitte un peu l'univers visual kei.

- Imitation PoPs uchuu sentai NOIZ- Battle Capsule : Alors là, le mélange est aussi surprenant : entre le 24h chrono de Jack Bauer et l'univers des super Sentai :D

- Et un autre Psycho le Cemu, juste pour leur côté vraiment too much!



Au revoir...



lundi 14 juin 2010

le français sauce wasabi (part 1) : vous parlez japonais, et vous ne le savez pas

"Japon.. terre de contrastes" (catalogue Necker Med)
Comme vous l'apprendra tout ouvrage nipponisant, le Japon surfe sur une Histoire alternant des "périodes de mélange culturel et de politique d'isolement" (manuel Le Japon pour les Gaijin). Ce processus chronique d'assimilation-digestion des us et coutumes étrangers, accentué par une situation insulaire, est à l'origine d'une culture hybride, "entre tradition et modernité" (guide du Migrateur Intercontinental).
Trêve de banalités introductives... Pour faire simple, on pourrait comparer la culture japonaise à un rāmen géant au sein duquel les ninjas côtoient les otakus sous fond de Sadō et de Super Sentai, le tout flottant dans un bouillon d' Hello Kitty à la sauce burusera. Voilà... en gros.

D'ailleurs, en parlant de nourriture, quand on sait que les nippons boivent du pepsi au concombre ou au coca-yaourth, et mangent de la glace aux ailes de poulet , on ne s'étonnera plus de la suite. Mais la suite concerne notre langue et les japonais aiment le français. Voyons donc à quelle sauce ils l'ont accommodé.

Le franponais

Ne vous en déplaise, le français reste encore synonyme de bon goût par delà les frontières.
Cela, les japonais l'ont bien compris. Et en grands barthésiens devant l'éternel (non, je ne fait pas référence au footballeur), ils ont également compris que la connotation comptait tout autant que la dénotation, et parfois même plus (oui oui, vous avez vu juste, c'était la minute sémiologique d'IsaB).
Ils se sont donc transformés en experts ès Assimil pour fleurir le packaging de toute une série de produits de consommation . Le français, connotant un mélange de raffinement et de qualité, occupe une place de choix dans les domaines de la mode, de la gastronomie et de la coiffure. Il est utilisé dans un but avant tout décoratif et sans tenir forcément compte de la signification, de la syntaxe ou de l'orthographe. Le résultat, parfois appelé "franponais", mot-valise mêlant français et japonais, existe également avec l'anglais (nommé alors engrish en référence au fait que le japonais ne distingue pas phonétiquement le l du r). Cela donne la plupart du temps des expressions cocasses et délicieuses de double sens malgré elles.

Voici un petit florilège:


Comme ça du mode -Très célèbre au Japon: c'est le slogan d'une grande chaîne de grands magasins. A signaler également l'ambiguité homme/home.

Petit vegetable - visible sur une boîte de pique-nique. cas typique de mélange franco-anglais.

Bistoro Vin-dange - Bistrot à Abiko. Un mélange savoureux entre Vin d'Ange et vidange.

Fruit Millefilles
- Sur une carte de desserts. Belle "erreur" de recopiage, probablement plus que de traduction. A voir l'image, cela doit être un millefeuilles nappé d'un coulis aux fruits.

Art more avionrouge
- Boutique à Shimada.Là, le sens évoqué devient d'un coup beaucoup plus hérmétique.
Pareil pour cette inscription, trouvée sur un T_shirt :
C'est plus d'huil sien
TAUREAUX
100% pure huil provinciale
vie naturel corp,taureaux établissement
Salon de Charme ... à Ushiku. N'est pas un "salon de massage"comme on pourrait le croire, mais un coiffeur.

Salon de Vue ... à Toride. N'est pas un opticien comme on pourrait le penser, mais un coiffeur.

Premier Amour ... à Tsukuba. N'est pas une agence matrimoniale comme on pourrait l'imaginer, mais un coiffeur.

Salon de au lait ... à Abiko. Contre toute attente, est également un coiffeur!
Creamed buriyulee, Mousse Fran Beauvoise, Sweet Potato Mon Bran - Transcription phonétiquement folklorique de : Crème brûlée, mousse aux framboises et Mont-Blanc à la Patate douce dans une patisserie d'Ōmiya.
Madame Chie ... mais ça ne nous regarde pas. Salon de beauté à Sendai. Pour info,Chie ("tchi-é") est un prénom féminin japonais.
Les accents, trémas, et autres attributs de l'alphabet occidental posent souvent un problème et sont en même temps source de fascination. Le plus souvent absents des polices d'écriture à disposition des japonais, ils ne sont pourtant pas laissés pour compte. Que du contraire! Le "ç" fait très français, l'apostrophe aussi (même si elle est fréquemment confondue avec l'accent aigu comme dans céstlavie).

Alors, quitte à les recréer à la main, ils n'hésitent pas à en rajouter ou à les déplacer comme dans:
vu dans un grand magasin de Kashiwa. Ca dépasse les possibilités d'affichage html...

Pour plus d'exemples : Le franponais.com


Ku De Ta... répète... [kou] [dé] [ta]


Voilà donc pour l'éclat de votre langue au pays du soleil levant. Mais bon, ce n'est pas avec cela que vous pourrez commander votre bol de Nabeyaki Udon. Ce qui suit non plus me direz vous... quoique.

Le japonais en tant que langue continent environ la moitié de nom chinois, mais on retrouve également la trace des Portugais et même celle des Néerlandais (qui étaient les seuls européens à pouvoir faire commerce avec le Japon sous l'ère Edo). A partir de l'ère Meiji, viendront s'ajouter l'anglais, l'allemand et le français.

Alors, comment ça marche?
Commençons par un peu de phonétique (oui, je sais, encore une minute sémiotico-linguistique mais si je ne peux pas me lâcher ici, où le ferai-je ma bonne dame?).
En fait, les mots étrangers (et il y en a beaucoup en japonais) sont transcrits au moyen du syllabaire katakana. Celui-ci contient toutes les syllabes de la langue japonaise (a, ka, sa, ta, na...) mais uniquement celle-ci. Ainsi, il n'a pas de "l" (remplacé par "r") ni de "v" ("b") et pas de consonnes isolées, à part "n". Par contre on peut doubler une consonne. La voyelle muette ou l'absence de voyelle est transcrite par "u" ou parfois ("o"). Enfin il n'y a pas de "ti" ("chi") ni de "tu" ("tsu") ni de "si" ("shi"). C'est pour cela que de nombreux japonais ont de la peine à prononcer le son "si" alors qu'ils peuvent dire "sa" et "ki": CD se prononce "shidi".
Ainsi "flambé" devient "fu ra n be" (où je sépare les syllabes pour les mettre en évidence).
Autres exemples venant du français: "konyakku" (cognac), "kafeore" (café au lait), "buchikku" (boutique), "shampan" (champagne)...

L'air de rien, en un paragraphe, vous venez d'apprendre 5 mots et vous assurer de ne pas mourir de soif. Héhé.

    Test: Essayez de découvrir les mots français dans la phrase suivante :

    Dans un resutoran furansu, prenez une omuretsu comme oodoburu arakaruto.


Solution : Dans un restaurant français, prenez une omelette comme hors-d'oeuvre à la carte.
Véridique, les noms utilisés dans la phrase test se prononcent bien comme ça en japonais.
Et 5 mots supplémentaires, cinq!

Comme quoi, qui a dit que c'était compliqué?
Et pour les plus motivés, voilà un site proposant une liste de mots japonais importés d'autres langues (excepté l'anglais). Vous y apprendrez que "coup d'état" se traduit "ku de ta", que "concours" se dit "kon kuu ru" ou que "vacances" se dit "ba kan su".
Ca peut être un bon début!


    mardi 25 mai 2010

    A little walk around taxidermia (4) : ils sont partout.

    Parce que les empailleurs vous attendent parfois là où vous n'y pensez pas, je clôturerai ce chapitre animalier par quelques satellites gravitant autour de la planète Taxidermie.

    La crypto-taxidermie

    Appelée "rogue-taxidermy" par les anglo-saxons, la crypto-taxidermie est l'art de la chimère, une sorte de cadavre-exquis en trois dimensions (et ce au sens littéral comme au sens littéraire).
    Ces extrémistes de l'empaillage passent donc à mes yeux du rang de demi-fêlés à celui de Grand Ordonnateur de la nawak-art-attitude. Et cela devient parfois vraiment savoureux à ce stade là.

    La crypto-taxidermie consiste donc à créer des animaux imaginaires en assemblant des bouts d'animaux existants et/ou en y ajoutant des attributs artificiels. Les artéfacts peuvent être mis en place de manière à représenter une créature mythique (dragons, griffons, licorne), recréer une espèce disparue (le dodo), ou provenir entièrement de l'imagination tordue du taxidermiste. Plusieurs de ces créateurs de l'étrange se sont regroupés au sein d'une association américaine, la M.A.R.T. (Minessota Association of Rogue Taxidermy). Leur objectif est de repousser les frontières artistiques de la taxidermie. Et le résultat, plus ou moins décalé selon les artistes, ne manque pas d'un certain sens de l'humour. Alors, cela peut vous sembler gentillet, mais méfiez-vous, on ne sait jamais où ils vont s'arrêter.


    Tenez, par exemple. Prenez un ex-infirmier hospitalier new-yorkais. Imaginez que sa vie doit ressembler à peu près à ça et qu'il a non seulement l'ambition de réécrire le Livre de la Genèse, mais en plus le souhait de ne pas se prendre tout seul pour Dieu. Voilà Nate Hill. Et c'est donc coiffé d'un képi blanc et le noeud pap' autour du cou que ce trentenaire organise des virées didactiques dans Chinatown. Une fois par mois, suivi par une douzaine d'apôtres, Nate enseigne l'art de trifouiller dans les poubelles à la recherche des restes de cadavres exotiques. Ça pue un peu, c'est fort gluant, et c'est complètement gore, mais quel bonheur!

    DISCLAIMER : I cannot prevent you from injury on this tour. Rummage at your own risk. I have never been injured when digging my hands in fish crap, but the possibility is always there. SAFETY FIRST. Beware of sharp objects. It is very important that you are very careful and move your hands slowly. Treat that box of dead fish like a lady. (recommandations à lire avant la participation au Chinatown Garbage Taxidermy Tour)




    Et si vous le souhaitez, en attendant, devenez un rogue taxidermist virtuel via
    http://www.beastblender.com/
    Bon amusement!

    La fashion-taxidermie

    Passons à quelque chose d'un peu plus léger.
    Bien que vous soyez probablement tous et toutes convaincus que "Suits are full of joy" (HIMYM, 2.14), il vous arrive peut-être parfois de vouloir afficher la part animale qui sommeille en vous avec décadence et sensualité. Le port du manteau de fourrure étant considéré comme, au choix, 1) old-school, 2) éthiquement impensable, ou 3) exclusivement réservé à vos virées en Sibérie orientale, je vous propose donc une alternative : un exemplaire des nouvelles chaussures-Vegas Girl (2009) de l'artiste berlinoise Iris Schierferstein. Il s'agit de sabots de vache dont l'ongle est plaqué or et le talon réalisé au moyen d'un pistolet-jouet doré également. J'imagine bien un exemplaire au pied de Cherry, la go-go danseuse amputée du Grind House : Planet Terror de Rodriguez. Et pour ceux qui veulent marcher le pied léger, Iris Schierferstein a également créé un modèle orné de colombes.

    La taxidermie anthropomorphique

    A citer également : la taxidermie anthropomorphique. Vous savez, un peu comme ces portraits de votre arrière-arrière-grand oncle avec une tête de chien. Ben ça, mais en trois dimensions et avec de vrais poils, puis surtout des petits vêtements par dessus, le tout mis en scène avec le plus grand soin dans un univers tiré du quotidien humain. Cette pratique, plutôt répandue à l'époque Victorienne et Edwardienne, reste cependant encore d'actualité. Ce style a été popularisé par Hermann Ploucquet, taxidermiste au Musée Royal de Stuttgart, lors de la première Exposition Universelle en 1851 à Londres.

    Plus récent, et comptant parmi les artistes incontournables au même titre que Damien Hirst, nous trouvons l'italien Maurizio Cattelan. Frondeur, cabotin et adepte du scandale, cet homme maîtrise à merveille l'art de la communication et du Star System.
    Son installation Bidibidobidiboo montre un écureuil venant de se suicider, penché sur la table de sa cuisine, un révolver trainant à ses pattes. Il a également réalisé La Nona Ora , effigie en cire de Jean-Paul II écrasé par une météorite... et pour montrer son mécontentement lors de la revente de celle-ci par son collectionneur, il scotcha ni plus ni moins son galeriste au mur (Massimo De Carlo) afin qu'il se vende lui-même. Ça, c'était pour la séquence "potins people".


    La taxidermie humaine

    Cela nous mène un cran plus loin car ici, il ne s'agit plus d'effigies en cire. Gunther von Hagens, anatomiste allemand et inventeur de la plastination, a en quelque sorte concrétisé les espoirs d'un autre médecin, Matthias Louis Mayor, auteur d' Essai sur l'anthropo-taxidermie, ou sur l'application à l'espèce humaine des principes d'empaillage paru en 1838.

    La plastination permet de préserver les tissus biologiques d'un corps en remplaçant les différents liquides organiques par du silicone de caoutchouc ou de la résine époxy, puis en fixant le tout par un gaz durcisseur ou par la chaleur. Le processus de plastination d'un corps entier dure environ un an. Il a l'avantage de préserver la couleur et la forme des organes (contrairement au formol).

    A propos, dans le même ordre d'idée, en 1993, un condamné à mort a cédé son corps à la science afin que celui-ci soit découpé en 1800 lamelles d'à peine un millimètre d'épaisseur. Chaque lamelle a été photographiée afin de recréer un corps virtuel en 3D qui permet de voir l'anatomie comme on ne l'avait jamais vue. C'est "l'homme transparent" (existe aussi en version "femme"). Bien qu'il soit d'une précision jusqu'à présent inégalée, une chose essentielle manquait aux apprentis chirurgiens : le toucher, la sensation de la chair. Qu'à cela ne tienne, pour recréer cette sensation tactile, les chercheurs ont fait appel à des technologies utilisées en réalité virtuelle pour mettre au point un gant fabriqué de telle façon qu'il donne à l'usager l'impression de fermer la main sur une balle ou encore de sentir de l'eau couler sur la peau. Reste après à appliquer cela à un scalpel sensitif. Mais là je m'égare, revenons à nos moutons.

    La particularité des plastinations de Von Hagens est qu'elles s'inscrivent directement dans la lignée des travaux de la Renaissance, qui mêlent intimement l'art et la science. Elles sont créatrices d'ambiguïté, et cela a immédiatement soulevé de fortes polémiques tant auprès du public que des médias ou des institutions religieuses et politiques. Pour des raisons éthiques, on s'en doute, mais aussi au vu du malaise polysémique que provoque la vue de ces corps-statues de chair et d'os.
    « S'agit-il d'une exposition artistique ? Scientifique ? Pédagogique ? Spectaculaire et visant au sensationnel ? Un peu comme dans les documentaires publicitaires, il y a un mélange de plusieurs fonctions qu'il faudrait au minimum expliciter ; le non-dit majeur est la prime au voyeurisme sous couvert de science et de pédagogie, qui permet le camouflage de la transgression » (avis du comité d'éthique à propos de l'expo Our Body)
    La vallée dérangeante

    Les corps plastinés deviennent donc des objets didactiques. Et en tant que tels, ils sont censés être regardables. Mais leur mise en scène quotidienne (baigneuse, joueur d'échec,...) leur donne une autre dimension, différente de celle de la biologie. Ces hommes et ces femmes redeviennent humain et par conséquent beaucoup trop proches de nous, mais en même temps pas assez. D'où le sentiment de malaise. "Il faut parfois s'empêcher de penser que tout ces corps étaient des êtres humains", peut-on lire dans un commentaire laissé par un visiteur de l'exposition. Le degré d'iconicité devient tellement fort qu'il nous expose de manière quasi littérale au référent lui-même et ne permet plus la distance (c'était la Petite Minute Sémiologique d'Isa).

    Où finit la médecine, où commence la perversité, et où se loge l'art? Ces questions se posent tout au long de l'exposition, avec celles de la vie, de la mort et de l'éternité. Mais ces corps posent aussi la question d'où commence et où finit l'homme. Quels sont les éléments qui nous donnent l'illusion du vivant? A partir de quel moment ne considère-t-on plus un être comme humain (ou animal)?


    La taxidermie et ses dérivés prête à cette confrontation, au même titre que les cyborgs, androides et autres automates. Tous posent la question de ce qui fait le vivant. Est-ce le souffle, les battements d'un coeur, la pose familière, le mouvement... On se retrouve ici au cœur de ce que l'on appelle l'effet de la vallée dérangeante. Il s'agit en gros de cette zone d'ombre qui délimite les êtres trop "vrais" pour être inoffensifs et amicaux à nos yeux, mais pas assez pour ne pas avoir l'air louche. Ceux qui se trouvent dans cet intervalle provoquent immanquablement une sensation de rejet ou de malaise. Les animaux empaillés et les cadavres plastinés sont donc condamnés à passer leur purgatoire au fin fond de la vallée dérangeante. RIP

    lundi 17 mai 2010

    A little walk around taxidermia (3) : petit détour par le cinéma

    Je ne suis pas cinéphile invétérée, c'est un fait. Dans mon entourage, d'autres font cela très bien. Juste une promeneuse du dimanche au pays du septième art. Mais je termine à l'instant le deuxième visionnage de "Taxidermia" de György Pálfi et ne peux me résoudre à le laisser de côté.

    J'aurais donc pu évoquer Dell, la femme en noir du fantasmagorique "Tideland"(2005) de Terry Gilliam, qui taxidermise le corps du père de la petite Jeliza-Rose. J'aurais pu parler aussi de Norman Bates dans "Psychose" (1960), ou de certains films d'horreur mettant en scène avec une jouissance perverse cette occupation tellement propice aux retournements d'estomac. Mais non... je m'en tiendrai à ce film franco-austrio-hongrois. Parce qu'après l'avoir vu, on se tait. Pendant un temps du moins. Et puis c'est selon...

    Je vais donc tenter de ne pas spoiler tout en partageant un minimum les tenants et aboutissants de ce triptyque qui nous pousse au delà de nos derniers retranchements.

    Dans "Taxidermia", sexe, bouffe et immortalité se partagent l'écran comme trois manière de pénétrer le corps dans ce qu'il a de plus viscéral, cet élément même qui fait défaut à l'animal empaillé. Le film passe en revue la vie de trois personnages issus d'une même famille hongroise : le grand-père, troufion obsédé par ses penchants masturbatoires, et zoophile par défaut; le père participant compulsivement à des concours de gavage et de" speed-eating"; et le fils, jeune taxidermiste pâle et maigrichon, héritier emplâtré des tares de ses prédécesseur généalogiques.
    Stylistiquement, une structure en trois actes, des gros plans plongeant au cœur de la matière, certains mouvements de caméra parfois vertigineux et même quelques envolées oniriques. Le tout baignant dans une ambiance crue et sordide où les hommes, malgré l'extrémité de leurs actes, ont étonnamment encore l'air d'êtres humains. Peut-être parce que l'on nous rappelle sans cesse leur condition bio-physiologique. Peut être parce qu'ils dévoilent leur fragilité à fleur de peau. Peut être juste parce qu'ils sont monstrueux, et juste parce qu'ils veulent être parfaits.
    "Au centre de ce film, il y a le corps humain -dans sa réalité naturaliste et avec ses désirs surréalistes. Et au fur et à mesure que les désirs habitent le corps, le surréalisme prend le dessus sur le naturalisme. chaque scène du film peut exister indépendamment des autres. Mais mises bout à bout, toutes ces scènes prennent comme par magie, un sens nouveau. La manière cruelle de raconter l'histoire contient une brutalité émotionnelle, bien plus forte que la brutalité des images. Le film explore les frontières extrêmes de la vie humaine, et ses limites. Il y a grossier et grossier." (György Pálfi, à propos de "Taxidermia")
    Ce film sent le vomi, le beurre rance, le foutre et les tripes. Mieux vaut être prévenu. Mais j'en suis ressortie attendrie. Enfin, attendrie à la manière de ces viandes que l'on passait dans un "attendrisseur", cette machine constitué de deux plaques munies de dents en métal qui transperçaient la chair. Mais quand même...

    dimanche 16 mai 2010

    A little walk around taxidermia (2) : les plasticiens

    Parce que je ne suis pas la seule à être fascinée par ces masses figées remplies de poils et de foin, je suis donc allé jeter un œil sur les préoccupations de mes compagnons de lubie.
    Et c'est là que mon intérêt pour la taxidermie et ses dérivés a vraiment pris son envol. Les sensations et la réflexion que me procurait la vue de ces animaux empaillés se sont décuplées et ouvertes à des horizons inattendus. Selon les artistes, j'étais confrontée au morbide, à la chair, la mort, la texture d'une peau, toutes ces choses qui font que l'on ressent le frémissement d'une vie...ou pas... ou peut-être. Et c'est là que ça devient excitant, ce flirt avec les limites, entre fascination et dégoût, entre animé et inanimé, entre l'organique et le mécanique...

    Je vous propose donc un petit tour du propriétaire, à découvrir suivant vos envies respectives :

    DAMIEN HIRST
    Accessoirement réalisateur du clip de "Country House" de Blur, l'anglais Damien Hirst est surtout connu en tant qu'enfant terrible de l'art contemporain mais aussi comme étant un des artistes actuels parmi les plus chers du monde. "For the Love of God", sa tête de mort en platine incrusté de milliers de diamants atteint une valeur de 100 millions de dollars. On ne se refuse rien ma brave dame!
    La rumeur prétend que son goût pour le morbide se serait dévoilé très tôt. Pour preuve, une oreille dérobée lors d'une visite dans un hôpital et ensuite déposée précautionneusement dans la pizza d'un de ses amis. Ouh le vilain psychopathe!
    Disposant d'une centaine d'assistants, il découpe entre autres veaux, vaches et moutons pour les présenter à demi : côté pile les tripes à l'air, côté face, le poil au vent, le tout baignant dans de gigantesques bocaux de formol. En 1992, il s'est également offert l'exposition d'un requin... "J'ai dû trop regarder les dents de la mer", explique-t-il. Le problème est que ses œuvres formolesques sont éphémères, le liquide altérant fortement la texture et la couleur des tissus. Hirst se voit donc obligé de recommander un requin à un pêcheur australien pour la somme de £6000 afin de remplacer le premier. En attendant, le requin est devenu le symbole du BritArt durant toutes les années 90. Et Hirst continue de s'enrichir, pouvant même se payer le luxe de vendre directement ses réalisation aux enchères sans passer par des galeristes (au grand dam de ceux-ci).


    LISA BLACK
    Premier coup de coeur...Bien moins médiatisée, Lisa Black, est une artiste from Auckland (New-Zealand) adulée par le milieu steampunk. Inspirée par des films comme "Blade Runner", "La cité des enfants perdus" ou par des comics comme "Hellboy", elle nous présente sa collection "Fixed", dans laquelle elle répare des animaux taxidermisés cassés en les modifiants au moyen d'accessoires provenant de vieux mécanismes d'horloge, de câbles, d'articulations mécaniques, etc .
    La réalisation de son premier animal cyborg a démarré avec la découverte d'un faon empaillé abandonné dans le fond d'un garage. D'autres créations viendront rapidement tenir compagnie à celui que j'ai envie d'appeler "bambinator" : un bébé crocodile avec une clef à remonter au milieu du dos, un caneton au ventre en engrenages, une tortue mécanisée... Tout ce petit zoo mêlant élégamment l'organique au technologique.
    Pour son travail, Lisa Black s'inspire directement du mouvement transhumaniste. Elle ajoute d'ailleurs lors d'une interview : "The line between natural evolution and technological evolution is already seriously blurred. I don’t see the difference between vaccines/antibiotics, robotic limbs, and embedded RFID tracking chips". Plus tard, elle cite également une des figures de la Beat Generation qui reprend assez bien l'idée générale du bazar :
    I like to think (and the sooner the better!) of a cybernetic meadow where mammals and computers live together in mutually programming harmony like pure water touching clear sky. I like to think (right now, please!) of a cybernetic forest filled with pines and electronics where deer stroll peacefully past computers as if they were flowers with spinning blossoms. I like to think (it has to be!) of a cybernetic ecology where we are free of our labors and joined back to nature, returned to our mammal brothers and sisters, and all watched over by machines of loving grace.” –Richard Brautigan

    QUELQUES AUTRES EN VRAC :


    Un belge, tout d'abord : Wim Delvoye. Plutôt connu pour "Cloaca", installation scatologico-didactique géante représentant un tube digestif en fonction (avec les sucs pancréatiques, les enzymes, et peut-être même les borborygmes). Il a également voué à la postérité de nombreux cochons tatoués par ses soins et utilisé des animaux empaillés dans une installation anthropomorphique, en l'occurrence un cerf et une biche s'envoyant en l'air dans la position du missionnaire. A classer dans la même veine que d'autres belges tels les chorégraphes Jan Fabre ou Alain Plattel.

    Pour l'anecdote, le taxidermiste liégeois Jean-Pierre Gerard a collaboré avec le plasticien français Daniel Firman dans la reconstitution d'un éléphant de 5,60m de haut et pesant 300kg. L'éléphant avait la particularité de tenir en équilibre sur sa trompe! Beau travail sur l'équilibre et la gravité.



    Frédérique Morrel : une française qui aurait gagné à être anglaise pour son côté trendy et complètement décalé. Plutôt bien représentée dans les magasines déco, Fréderique Morrel utilise des moules d'animaux taxidermisés pour créer des pièces en mousse de polyuréthane, puis recouvre le tout de tapisseries hautes en couleur aux sujets romantiques ou érotiques. Vintage, art de la récup' et kitsch font ici bon ménage (ou bonne ménagerie, c'est selon).


    Pour rester dans le kitsch, visitons l'atelier de la sculptrice américaine Jessica Joslin. Sa ménagerie de squelettes mécaniques, effrayants et attendrissants à la fois, pourrait sans problème figurer dans un film de Tim Burton. Ancienne collectionneuse de mouches, qu'elle scrutait à travers son microscope, elle commence la construction d'animaux étranges en 1992. Une grande majorité sont des oiseaux, ou de petits animaux familiers, souvent mis en scène avec des accessoires de cirque ou rappelant le monde de la musique.


    Enfin, Ron Pippin, surement un de mes préférés. Dans la lignée de Lisa Black, il fait se réconcilier Bambi et Universal Soldier. Il est difficile ici de me limiter à la présentation de son zoo mécanique, tant tout son univers est fascinant. Une caverne sans fin de savant fou iconoclaste. Pas moins que ça.
    "My work is often related to ideas about the relationship of Science, Art, and Nature. My scientific aesthetic is primarily drawn from the 19th Century, when, I feel, science still had a relationship to beautiful forms."
    Des meubles de bois et de métal affublés de loupes énigmatiques, de cartes anciennes, ou de fioles douteuses. Des squelettes dont la vulnérabilité est compensée par un attirail d'ajouts prothétiques, avec un sens du détail époustouflant. Des manuscrits dignes des plus grands carnets de voyage, couverts de talismans inconnus, de peaux de lézards et de schémas anatomiques. Au fil des objets, on ne peut donc s'empêcher de s'imaginer la vie qui se cache derrière ces reliques, et les personnages monstrueux qui les ont manipulés. Je m'éloigne un peu de mon sujet, but this guy rules!

    Voilà pour les installations plastiques... La suite? un petit détour par le cinéma, puis l'univers fascinant de la cripto-taxidermie. Entre autres.

    A little walk around taxidermia (1)

    …ou « commençons en beauté avec nos amis les animaux. »

    J’ai toujours considéré les taxidermistes comme des demi-fêlés. Ces personnages hybrides exercent sur moi un attrait mystérieux, entre la fascination et le dégoût. Comment rester de marbre face à ces alchimistes de l’inerte, capables de simuler le vivant à défaut de ressusciter Lazare? Je les imagine dans leur antre de dépeceurs méticuleux et misanthropes, entouré de leurs trophées, d'outils inconnus et de bocaux de formol couverts de poussière.
    "Vous voyez? On écorche l'animal, on enduit la peau en dedans avec du savon arsenical, ensuite on fait macérer et blanchir les os... Regardez sur cette étagère la belle collection de colonnes vertébrales et de cages thoraciques. Bel ossuaire, n'est-ce pas? Et puis on lie les os avec des fils métalliques et une fois reconstruit le squelette, on y monte une armature, d'ordinaire j'utilise du foin, ou encore du papier mâché ou du plâtre. Enfin, on remonte la peau. Je remédie aux dommages de la mort et de la corruption. Regardez ce hibou, n'a-t-il pas l'air vivant?"
    Dès lors, tout hibou vivant me paraîtrait mort, livré par Salon à cette éternité sclérosée.

    (U. Eco, Le pendule de Foucault, 1990)
    Voilà pour le protocole, en gros.

    Une fois mis en forme, l'animal empaillé devient donc en quelque sorte l’antithèse du zombie : un look frais et avenant, le poil presque luisant et même parfois une lueur au coin de leur œil de verre... mais en revanche, avec la totale incapacité de venir se frotter à vos mollets en hurlant. On ne peut pas tout avoir.
    Le taxidermiste se targue donc de prolonger la vie, contrairement à l'embaumeur qui n'offrirait qu'une prolongation de la mort (cette vision est sponsorisée par le syndicat des naturalistes taxidermistes de France ). Quoi qu'il en soit, il nous confronte à l'immortalité et à ce qui rend un être vivant ou du moins existant. Je vous laisse méditer là-dessus…


    Les premiers taxidermistes modernes étaient pour la plupart des voyageurs naturalistes récoltant leur butin, destiné à être exposé dans les Musées de Sciences Naturelles ou dans des Cabinets de curiosité (lieux ô combien excitants s'il en est). C'est ainsi que Louis XVI put se permettre le luxe de poursuivre ses longues discussions au coin du feu en compagnie de son Rhinocéros défunt (1) . Ce qui en jetait tout de même plus qu'un bocal de poissons rouges.

    Il faudra attendre la moitié du 19e siècle pour que ce privilège se démocratise et permette au "tout venant" de conserver son caniche abricot préféré. Cette technique semble d'ailleurs actuellement en phase d'être supplantée par la lyophilisation et la plastination (j'y reviendrai plus tard).
    Par après, ont fleuri les premiers dioramas mettant en scène girafes et grands félins dans des postures désinvoltes, trônant au milieu de sous-bois peints et de buissons reconstitués qui rendraient jaloux Ross Geller himself.

    Depuis lors, la taxidermie n'a donc cessé d'éveiller l'intérêt d'un public ne se limitant plus aux chasseurs, naturalistes, mamies à chats névrosées et autres émirs quataris. En tant que support témoignant de la relation que l'homme entretient avec les animaux, mais aussi et surtout avec la mort et le vivant, elle a donné lieu à un tas de divagations artistiques en tous genres.

    Et c'est là que l'aventure commence...

    (1) jusqu'à ce qu'il puisse lui même servir de trophée (mais cela est une autre Histoire)